Renonciation par le souscripteur à son assurance-vie – Précisions de la Cour de cassation
Dans un arrêt du 21 novembre 2019, la Cour de cassation a précisé les critères permettant d’apprécier l’éventuelle mauvaise foi du souscripteur d’une assurance-vie dans l’exercice de son droit de renonciation prorogé.
Le 11 mai 2007, un particulier adhère, par l'intermédiaire d’un courtier d’assurance, à un contrat d’assurance- vie souscrit auprès de la société Inora Life, sur lequel il a versé la somme de 50 000 euros, investie sur un support en unités de compte.
Le 23 avril 2013, il a déclaré renoncer au contrat en invoquant le non-respect par l'assureur de son obligation d'information précontractuelle.
L'assureur ayant refusé de donner suite à sa demande, l’assuré l'a assigné en restitution de la somme versée.
La Cour de cassation rejette le pourvoi de l’assureur ayant été condamné par la Cour d’appel à payer à l’assuré la somme de 50 000 euros avec intérêts au taux légal majoré, en relevant qu’après avoir énoncé que la mauvaise foi du preneur d'assurance ne pouvait être déduite du simple exercice de sa faculté de renoncer dans un contexte de moins-value boursière, et relevé qu'il n'était pas établi que l’assuré ait été un investisseur avisé, en mesure d'apprécier, lors de son adhésion, la portée de son engagement, la Cour d'appel a retenu qu'aucun élément tiré de son comportement ultérieur ne prouvait qu'il ait été davantage en mesure de le faire par la suite.
La Cour de cassation relève notamment que l’assuré a pu soutenir, sans être contredit sur ce point, que l'arbitrage du 11 février 2010, invoqué par l'assureur pour démontrer qu'il suivait l'évolution de son contrat et le gérait activement, avait été opéré après un démarchage du courtier.
Il était également constaté par les juges du fond et relevé par la Cour de cassation que, même si son investissement avait accusé des pertes avant le 23 avril 2013, la mauvaise foi de l’assuré ou le détournement du droit de renoncer ne pouvait se déduire de son absence de réaction.
Au regard de ces constatations, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir souverainement estimé que l’assuré n'était pas de mauvaise foi lorsqu'il a exercé son droit de renonciation, et en déduire que celui-ci n'en avait pas fait un usage abusif et déloyal.
Cette affaire est l’occasion de revenir sur les critères définis par la Cour de cassation dans ses derniers arrêts permettant de mettre en évidence un éventuel exercice abusif, par le souscripteur d’une assurance- vie, de sa faculté de renonciation prorogée.
On sait que l'article L. 132-5-2 du Code des assurances prévoit la remise d'une note d'information contre récépissé sur les conditions d'exercice de la faculté de renonciation et sur les dispositions essentielles du contrat.
Dans le même article, il est précisé que la proposition d'assurance ou le projet d'assurance vaut note d'information pour les contrats d'assurance comportant une valeur de rachat ou de transfert, lorsqu'un encadré, inséré en début de proposition d'assurance ou de projet d'assurance, indique en caractères très apparents la nature du contrat (C. assur., art., L. 132-5-2).
Cet encadré doit obéir aux conditions posées par l'article A. 132-8 du Code des assurances.
L'absence de remise de ces documents permet au souscripteur de continuer à bénéficier de sa faculté de renonciation au-delà des 30 jours fixés par la réglementation.
En effet, le souscripteur d'une assurance sur la vie ou de capitalisation dispose d'une faculté de renonciation qu'il doit exercer dans un délai de 30 jours calendaires révolus à compter du moment où il a été informé que le contrat est conclu (C. assur., art. L. 132-5-1).
En cas de défaut de remise des documents informatifs prévus par l'article L. 132-5-2 du Code des assurances, ce délai peut être prorogé.
Etant noté que la remise effective des documents initialement manquants fait courir un nouveau délai de 30 jours calendaires, dans la limite de 8 ans à compter de la date où le souscripteur a été informé de la conclusion du contrat.
Il en résulte qu’en cas notamment d’absence de note d’information ou de remise d’une note d’information non conforme à l’article A. 132-8 du Code des assurances, le souscripteur peut se prévaloir d’un manquement à l’obligation d’information précontractuelle et renoncer à son contrat même plusieurs années après sa souscription afin de se faire restituer les sommes versées (C. assur., article L. 132-5-1).
Mais ce droit de renonciation prorogé à la main des souscripteurs a pu induire un usage abusif et des comportements opportunistes en cas de perte en capital, ce qui a conduit le législateur, par une loi n° 2014-1662 du 30 décembre 2014 modifiant l'article L. 132-5-2 du Code des assurances, à réserver la prorogation du délai au souscripteur de bonne foi : « Le défaut de remise des documents et informations prévus au présent article entraîne, pour les souscripteurs de bonne foi, la prorogation du délai de renonciation prévu à l'article L. 132-5-1 jusqu'au trentième jour calendaire révolu suivant la date de remise effective de ces documents, dans la limite de huit ans à compter de la date où le souscripteur est informé que le contrat est conclu. » (C. assur., article L. 132-5-2).
La jurisprudence a étendu cette exigence de bonne foi aux contrats d’assurance-vie souscrits antérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi.
C’est ainsi que la Cour de cassation juge désormais de manière constante que si la faculté prorogée de renonciation prévue par L. 132-5-2 du Code des assurances, dans sa rédaction applicable, en l'absence de respect, par l'assureur, du formalisme informatif qu'il édicte, revêt un caractère discrétionnaire pour le preneur d'assurance, son exercice peut dégénérer en abus (Cass. 2e civ., 19 mai 2016, n° 15-12.767).
La Cour d'appel doit donc rechercher si, au regard de la situation concrète de l’intéressé, ce dernier n'était pas parfaitement informé des caractéristiques de l'assurance sur la vie souscrite, et s'il n'exerçait pas son droit de renonciation uniquement pour échapper à l'évolution défavorable de ses investissements (Cass. 2e civ., 17 nov. 2016, n° 15-20.958).
Plus récemment, la Cour de cassation a cassé un arrêt reprochant à la Cour d’appel d’avoir statué sans rechercher à la date d'exercice de la faculté de renonciation, au regard de la situation concrète de l’assuré, de sa qualité d'assuré averti ou profane et des informations dont il disposait réellement, quelle était la finalité de l'exercice de son droit de renonciation et s'il n'en résultait pas l'existence d'un abus de droit (Cass. 2e civ., 7 Février 2019 - n° 17-27.223).
Dans l’affaire commentée, l’assureur Inora Life n'avait pas respecté son obligation d'information en n'insérant pas l'encadré prévu par l’article L.132-5-2 du Code des assurances à l'endroit et selon les modalités prévues par la réglementation, et ce manquement ne pouvait qu’entraîner la prorogation du délai d'exercice de la faculté de renonciation au profit du souscripteur.
Le souscripteur avait donc raison de soutenir qu’il bénéficiait d’une faculté de renonciation prorogée.
Mais la question se posait de savoir si le souscripteur était de bonne foi pour l’exercer.
La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir répondu par l’affirmative et d’avoir ainsi fait droit à l’exercice par l’assuré de son droit de renonciation.
Pour écarter le reproche de mauvaise foi avancé par l’assureur, les juges du fond ont retenu avec l’approbation de la Cour de cassation tout à la fois :
- qu’il ne pouvait se déduire du simple contexte de moins-value boursière une mauvaise foi du souscripteur du contrat ;
- qu’il n’était pas un investisseur avisé en mesure d’apprécier lors de la conclusion du contrat la portée de son engagement d’autant qu’il n’avait pas reçu de note d’information en bonne et due forme lors de la conclusion de son contrat ;
- que cette mauvaise foi ne pouvait pas plus se déduire de l’absence de réaction de l’assuré lors de la constatation de pertes sur son capital.
L’assureur avait pourtant argué que le souscripteur avait réalisé un arbitrage en février 2010 pour en tirer l’idée qu’il suivait activement l'évolution de son contrat et qu’il connaissait l’évolution de son capital et notamment les pertes subies.
Mais l’argument n’a pas résisté à l’examen des faits qui a révélé que l’arbitrage en question avait été réalisé après un démarchage du courtier d’assurance…
Cet argument aurait pourtant pu être décisif, puisque la jurisprudence a fait de l’information dont dispose concrètement l’assuré sur son contrat au moment d’y renoncer son critère essentiel avec celui portant sur la qualité d’ « assuré averti », c’est-à-dire disposant de connaissances et d’expériences notables en matière financière (Cour de cassation, 2e chambre civile, 7 Février 2019, n° 17-27.223).
Au regard de l’ensemble de ces éléments, les juges du fond ont pu valablement retenir que l’exercice de la faculté de renonciation n’avait pas dégénéré en abus et l’assureur a dû restituer le capital versé par le souscripteur.