Les effets de l’acceptation par le bénéficiaire d’une assurance-vie sur le droit au rachat.
Le souscripteur de plusieurs contrats d’assurance-vie avait désigné sa maîtresse comme bénéficiaire.
Par la suite, les deux amants avaient adressé une lettre commune à l'assureur par laquelle ils lui demandaient de prendre note de ce que Madame acceptait sa désignation en tant que bénéficiaire des contrats d'assurance.
Au décès du mari, la maîtresse a touché les capitaux relatifs aux assurances- vies souscrites à son profit.
L’épouse, mariée sous le régime de la communauté universelle, l’a assignée pour en obtenir la restitution.
Faisant droit à sa demande, la cour d’appel a considéré qu’en consentant à l’acceptation de sa désignation par le bénéficiaire, l’époux s’était dépouillé irrévocablement de sorte que les contrats devaient être requalifiés en donation indirecte, nulle car consentie par un époux en biens communs sans l’accord de son conjoint.
Dans un arrêt du 20 novembre 2019, la cour de cassation censure l’arrêt d’appel en retenant « qu'en l'absence de renonciation expresse de sa part, le souscripteur d'un contrat d'assurance sur la vie mixte est fondé à exercer le droit de rachat prévu au contrat même en présence de bénéficiaires ayant accepté le bénéfice de ce contrat ».
Or, en l’absence de toute renonciation expresse de la part de l’époux à l'exercice de son droit de rachat garanti par le contrat, les contrats d’assurance- vie litigieux ne pouvaient être requalifiés en donation indirecte et annulés.
Cet arrêt nous permet de revenir sur les conséquences qu’induit l’acceptation de sa désignation par le bénéficiaire d’une assurance-vie sur le droit au rachat du souscripteur.
Une donation, d’un conjoint à un tiers, peut être annulée si elle a été consentie sans l’accord du conjoint en biens communs en application de l’article 1422 du Code civil et si elle révèle une volonté de se dépouiller de manière irrévocable (C.civ. art. 894).
Et on sait qu’un contrat d’assurance- vie peut être requalifié en donation indirecte, donc susceptible d’être annulée par le conjoint survivant si les faits sont propres à établir la volonté du souscripteur de se dépouiller irrévocablement.
En effet, dans ces conditions, la nullité sanctionne l’acte unilatéral du conjoint qui porte atteinte à la communauté.
Rappelons que l'article L. 132-9 du Code des assurances dispose que « la stipulation en vertu de laquelle le bénéfice de l'assurance est attribué à un bénéficiaire déterminé devient irrévocable par l'acceptation de celui-ci ».
Dans l’arrêt commenté, le bénéficiaire des assurances- vie avait accepté sa désignation, ce qui a rendu celle-ci irrévocable.
Le contentieux qui s’en est suivi, engagé par l’épouse lésée, portait sur les effets de cette acceptation par le bénéficiaire et l’accord donné par le souscripteur à cette acceptation.
Pour la cour d’appel, l’époux ayant consenti à l'acceptation de sa désignation par le bénéficiaire, cette circonstance révélait la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable dans la mesure où cette acceptation le privait de toute possibilité de rachat.
Dès lors, les juges du fond ont requalifié les contrats d’assurance- vie en donation indirecte et les ont annulés comme étant contraires aux dispositions de l’article 1422 du code civil subordonnant la validité d’une telle donation au consentement du conjoint en biens communs qui n’existait naturellement pas en l’espèce.
Pour autant, ces circonstances permettaient-elles réellement de considérer que le souscripteur avait manifesté sa volonté de se dépouiller de manière irrévocable ?
Afin de répondre à cette question, il convenait de savoir si l’acceptation par la maîtresse de sa désignation en tant que bénéficiaire des contrats privait le souscripteur de toute possibilité de racheter ses contrats d’assurance- vie.
Or, cette question avait déjà été tranchée.
En effet, après avoir longtemps considéré que l’acception du bénéficiaire de l’assurance- vie privait le souscripteur de son droit au rachat, la Cour de cassation avait fini par admettre que, lorsque le droit de rachat est prévu dans le contrat – ce qui est le cas général – le bénéficiaire acceptant n'est pas fondé à s'opposer à la demande de rachat en l'absence d'une renonciation expresse du souscripteur à son droit (Cass. ch. mixte, 22 févr. 2008, n° 06-11.934).
Autrement dit, même en cas d’acceptation du bénéficiaire, le souscripteur pouvait toujours exercer sa faculté de rachat.
Une limite toutefois : la faculté de rachat reste ouverte au souscripteur sauf renonciation expresse de sa part.
La 1ère chambre civile de la cour de cassation reprend la position de la chambre mixte en retenant qu’en l’absence de renonciation expresse de sa part, le souscripteur d'un contrat d'assurance sur la vie mixte « est fondé à exercer le droit de rachat prévu au contrat même en présence de bénéficiaires ayant accepté le bénéfice de ce contrat ».
Ainsi, dans les faits rapportés, l’époux était encore en mesure de procéder au rachat de ses contrats malgré l’acceptation de sa désignation par le bénéficiaire, et le fait qu’il ait consenti lui-même à cette acceptation ne permettait pas, pour la cour de cassation, d’établir à elle seule une renonciation expresse au droit de rachat.
L’époux ayant conservé une possibilité d’exercer son droit de rachat et n’ayant pas renoncé expressément à cette faculté, il n’était pas possible de soutenir que le souscripteur avait souhaité se dépouiller de manière irrévocable au profit de sa maîtresse et au détriment de la communauté.
En conséquence, les contrats d’assurance- vie ne pouvaient être requalifiés en donation indirecte ni être annulés.
Cet arrêt est donc conforme à la jurisprudence de la cour de cassation protectrice des droits au rachat dont jouit le souscripteur d’une assurance-vie : la renonciation à ce droit est particulièrement encadrée et ne sera valablement retenue que sous réserve d’une formulation claire et non équivoque.
Cass. 1re civ., 20 nov. 2019, no 16-15867, FS–PBI