Nullité d’une modification de clause bénéficiaire en cas d’insanité d’esprit.
Un souscripteur d’une assurance-vie, placé en curatelle renforcée, modifie par avenant sa clause bénéficiaire avec l'assistance de son curateur.
A son décès, sa veuve a agi en nullité de l’avenant pour insanité d’esprit.
La cour d’appel rejette sa demande et dit l'avenant valide au motif que le souscripteur placé sous curatelle renforcée a demandé à modifier la clause bénéficiaire du contrat par l'intermédiaire de son curateur, cette demande étant datée et signée par ce dernier et qu’il appartenait au curateur de s'assurer tant de la volonté du souscripteur que de l'adéquation de sa demande avec la protection de ses intérêts.
Or, les juges du fond relèvent qu’il n'est justifié d'aucun manquement du curateur à ses obligations.
L’arrêt est cassé au visa des articles 414-1, 414-2, 3°, et 466 du code civil, la cour de cassation retenant « qu’en statuant ainsi, alors que le respect des dispositions relatives à la régularité des actes accomplis par une personne placée sous le régime de curatelle ne fait pas obstacle à l'action en nullité pour insanité d'esprit, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à écarter l'existence du trouble mental [du souscripteur ]au moment de la conclusion du contrat d'assurance sur la vie litigieux […] a violé les textes susvisés ».
L’article 414-1 du Code civil dispose que « pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte. »
A condition de prouver l’insanité d’esprit, l’acte passé est entaché de nullité.
En cas de décès de l’auteur de l’acte litigieux, ses héritiers peuvent agir en nullité en vertu de l’article 414-2 du code civil.
S’agissant d’un contrat d’assurance-vie, le changement de bénéficiaire par la personne placée sous curatelle ne peut se faire « qu’avec l’assistance du curateur » (C. assur., article L132-4-1).
La question qui se posait dans l’affaire commentée était de savoir si le fait que le changement de bénéficiaire ait été accompli avec l’assistance du curateur et donc dans le respect des règles afférentes au régime de curatelle faisait obstacle à l’action en nullité des héritiers.
La Cour d’appel a pu hésiter dans la mesure où l’article 465 du code civil définit un cadre de sanctions applicables à l'irrégularité des actes accomplis par la personne protégée de sorte qu’a contrario, un acte accompli conformément aux dispositions relatives à la régularité des actes passés dans le cadre d’une curatelle pouvait empêcher toute action en nullité.
Choisissant cette interprétation, les juges du fond ont relevé que la modification de la clause bénéficiaire du contrat d'assurance sur la vie avait été opérée par le majeur protégé avec l'assistance de son curateur, lequel avait bien daté et signé la demande de modification (donc conformément à l’article L.132-4-1 du code des assurances), ce qui rendait injustifiée la demande de nullité.
Mais c’était privilégier la forme sur le fond et la Cour de cassation a logiquement censuré la décision des juges du fond en retenant que le respect des dispositions relatives à la régularité des actes accomplis par une personne placée sous le régime de curatelle ne fait pas obstacle à l'action en nullité pour insanité d'esprit.
En effet, l’article 466 du code civil prévoit bien que l’article 465 ne peut faire obstacle à l’action en nullité pour insanité d’esprit des articles 414-1 et 414-2 du même code.
Il en résulte qu’un acte passé par un majeur sous curatelle, quand bien même serait-il régulièrement accompli au regard des dispositions afférentes à ce régime de protection, demeure annulable pour insanité d’esprit.
Cet arrêt confirme la solution retenue par la cour de cassation dans de précédentes décisions (Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-13635 ; Cass. 1re civ., 27 juin 2018, n° 17-20428).
L’assistance du curateur est une condition nécessaire à la régularité d’un avenant au contrat d’assurance-vie mais elle n’est pas suffisante.
Le critère déterminant est l’existence ou non d’un état d’insanité d’esprit au moment de l’acte litigieux qui s’apprécie in concreto au regard des pièces produites, la charge de la preuve incombant au demandeur en nullité.
Il s’agit de s’assurer de l’intégrité du consentement de la personne placée sous curatelle au moment de la rédaction de l’acte.
Il reviendra à la juridiction de renvoi d’étudier les éléments médicaux susceptibles de caractériser ou non les troubles mentaux du souscripteur et, en cas d’insanité d’esprit avérée, d’en tirer les conséquences en annulant l’avenant portant modification de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie.