Un ancien salarié ou ancien mandataire ouvre une société de courtage en assurances non loin de votre cabinet, et vous assistez à la résiliation de nombreux contrats d’assurance de votre portefeuille ainsi qu’à la perte de commissions qui en résulte directement.
Vous vous renseignez et vous apprenez que les contrats d’assurance résiliés ont été remplacés par ce nouvel intermédiaire …
Comment prouver la concurrence déloyale ?
A cet égard, le principe est que les entreprises sont libres de rivaliser entre elles afin de conquérir et de retenir la clientèle et le fait, pour un commerçant, d'attirer vers lui un client et de le détourner ainsi d'un concurrent n'est pas a priori interdit.
Il n’y a pas acte de concurrence déloyale par le seul fait d'avoir causé un déplacement de clientèle de son ancien employeur.
Pour autant, les moyens utilisés doivent être licites (Com. 14 février 2018, n°15-25.346).
En effet, si, en l'absence de toute clause contractuelle de non-concurrence, le salarié peut exercer une activité concurrente de celle de son ancien employeur, cette activité doit être exercée de façon loyale (Com., 21 févr. 1995, n° 93-10754).
Dans le cas contraire, la concurrence déloyale d’un ancien collaborateur peut être poursuivie sur le fondement de l’article 1240 du Code civil car elle entraîne la responsabilité délictuelle de l'auteur de la faute.
Cette action nécessite la preuve de faits dommageables de concurrence déloyale et d’un préjudice en résultant directement pour la société de courtage victime.
Cette interdiction de concurrence déloyale signifie pour un courtier en assurances qu’il ne peut user de procédés déloyaux (actes de dénigrements, actes ayant pour effet la désorganisation de l’entreprise concurrente, actes de parasitisme, actes entraînant une confusion auprès de la clientèle) dans le but de détourner à son profit une partie de la clientèle d’un concurrent, notamment par l’utilisation abusive de son fichier client, pour démarcher sa clientèle personnelle et l'inciter à résilier les mandats pour conclure des contrats par son intermédiaire.
Selon une jurisprudence bien établie, le fait de détourner les fichiers clients d'un concurrent constitue une manœuvre déloyale (Com, 25 juin 1991, n°89-20506 ; Com, 20 octobre 1998, n°96-21859 ; Com, 24 mars 1998, n°96-15906).
De manière plus générale, l'appropriation, par des procédés déloyaux, d'informations confidentielles relatives à l'activité d'un concurrent, constitue un acte de concurrence déloyale (Com, 8 février 2017, n°15-14846).
S’agissant du démarchage de clientèle, s’il n’est pas interdit en soi en raison de l’absence de droit privatif portant sur la clientèle, lorsque le démarchage de la clientèle est accompagné de certaines manœuvres ou présente un caractère systématique, la jurisprudence n’hésite pas à le qualifier d’acte de concurrence déloyale, notamment lorsqu’il s’accompagne de l’appropriation de moyens de l’ancien employeur comme des méthodes commerciales, des projets, des fichiers ou le fait d’entretenir la confusion ou de dénigrer l’ancien employeur (Com. 22 mai 2001, n° 95-14909).
Il avait déjà été jugé que le démarchage de la clientèle d'un concurrent constitue un agissement déloyal dès lors qu'il présente un caractère systématique et/ou lorsqu'il est réalisé à l'aide de documents internes appartenant audit concurrent (Com, 6 avril 1993, n°91-16621 ; Com, 13 février 1996, n°93-20797).
Tout l’enjeu est donc de prouver les faits de concurrence déloyale et la charge de la preuve incombe au courtier victime.
Il résulte de la jurisprudence rendue en la matière que la concurrence déloyale d’un courtier se déduit le plus souvent de la commission par celui-ci de plusieurs des faits suivants :
- soustraction d’une copie des dossiers ou des données des clients d’un concurrent ;
- démarchages des clients du concurrent ;
- résiliations dans une proportion anormale des contrats en portefeuille ;
- lettres de résiliations selon le même modèle et /ou en provenance de la région où est installée le courtier concurrent ;
- l’ancien(ne) salarié(e) fait croire qu'il/elle fait encore partie de la société concurrencée ou fait croire qu’il/elle est le représentant de la société afin de conclure avec le client un ou plusieurs contrats ;
- actes de dénigrement.
La preuve de ces agissements permettra la mise en œuvre d’une action judiciaire à l’encontre du concurrent fautif.
Quelle(s) action(s) est-il possible de mettre en œuvre ?
Si les éléments dont disposent le courtier victime sont insuffisants pour engager une action au fond, celui-ci pourra recourir à la procédure prévue à l’article 145 du Code de procédure civile, mise en œuvre sur requête ou en référé devant le Tribunal, afin d’établir les preuves du comportement fautif.
Cet article dispose que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissible peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »
Sur ce fondement, un courtier pourrait notamment obtenir du juge une ordonnance autorisant un huissier de justice à se rendre, dans des conditions strictement délimitées, dans les locaux du concurrent fautif pour y relever d’éventuelles preuves de la concurrence déloyale, lesquelles viendront alimenter un recours ultérieur devant le juge du fond.
Lorsque la concurrence déloyale est suffisamment établie, le courtier est fondé à intenter une action judiciaire afin d’obtenir l’allocation de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi et la cessation des agissements illicites.
Il a été retenu par la jurisprudence que l'existence d'un préjudice « s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, générateur d'un trouble commercial » (Com, 22 octobre 1985, n°83-15.096 ; Com, 29 octobre 2003, n°01-11450 ; Com, 2 décembre 2008, n°07-19861 ; Com, 27 janvier 2009, n°07-15971).
Il faut naturellement rapporter la preuve que le préjudice souffert a directement pour origine les faits de concurrence déloyale.
Selon la jurisprudence, la victime d'actes de concurrence déloyale doit obtenir réparation intégrale du préjudice qu'elle a subi, qui ne se limite pas à la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires et qui doit être évalué au jour où la juridiction saisie statue (Cass. civ. 1ère, 9 novembre 2004, n°02-12506).
Le dommage subi par le courtier est essentiellement constitué d’une perte de clientèle de sorte que les dommages-intérêts devront être à la mesure de cette perte qui se traduit par une diminution tangible des commissions de l'entreprise de courtage.
L'évaluation des dommages-intérêts se fera, en règle générale, sur la base de la diminution constatée du chiffre d'affaires pendant la période où les agissements litigieux ont été commis (Cass. com., 25 janv. 2005, n° 01-10.423).
Notre cabinet est à votre disposition pour répondre à vos questions et pour toutes éventuelles démarches que vous souhaiteriez mettre en œuvre pour faire cesser une concurrence déloyale.